Censure
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Fria : Quand l’usine empoisonne la cité de l’alumine

Pollution industrielle, silence des responsables et colère des habitants face à la poussière d’alumine qui asphyxie la ville

L’alumine visible sur la chaussée à l’entrée de l’usine

 

Surnommée la « Cité de l’alumine », Fria porte aujourd’hui ce nom comme une lourde fatalité. Depuis plusieurs mois, la ville vit au rythme d’une pollution silencieuse mais omniprésente, dont les effets deviennent chaque jour plus visibles et plus inquiétants.

À la veille de ce mardi 16 décembre, aucune goutte de pluie n’est tombée sur la cité. Pourtant, au petit matin, une fine poussière blanche recouvre tout sur son passage : toitures, véhicules, ustensiles de cuisine laissés à l’air libre, chaussées, végétation. Rien n’a été épargné. En cause, selon plusieurs témoignages concordants, de la poudre d’alumine émise par l’usine, qui se disperse dans l’air et contamine l’ensemble de l’écosystème urbain.

Alertés par les populations, nous avons tenté d’obtenir des explications auprès des responsables de l’industrie. De la cellule de communication au directeur général adjoint, M. Camara David, alias « Caïman Blanc », en passant par la direction des ressources humaines, aucun responsable n’a accepté de s’exprimer. Un véritable jeu de ping-pong administratif, visiblement destiné à esquiver toute responsabilité. La vidéo ci-dessous a été prise la semaine dernière. Elle montre les fours crachant l’alumine dans la nature. 

Faute d’autorisation, l’accès au site industriel nous a été refusé. Toutefois, un employé de l’usine, sous couvert de l’anonymat, a accepté de livrer son exaspération.

« Deux fours sont en activité à la Calciné. La journée, ils sont mis à faible régime pour éviter que l’alumine ne soit perceptible. La nuit, en revanche, ils tournent à grande vitesse et les résidus se déversent sur la ville. C’est au matin que l’on constate les dégâts sur la nature. Nous avons tout tenté pour que cela cesse, mais c’est impossible. Ils refusent d’acheter les électo-filtres pour arrêter l’envolée de l’alumine », confie-t-il.

Un autre ouvrier masque couvrant la moitié du visage, est au comble de l’exaspération : « Nos patrons parce qu’ils sont tout le temps dans des voitures climatisées, vitres plombées, chez eux aussi ils sont dans des maisons bien fermées, ils ne souffrent pas apparemment. Sinon s’ils en étaient victimes, ils allaient prendre des dispositions rapides pour corriger le désastre. »

Selon nos investigations, le dispositif de filtration censé empêcher ces fuites d’alumine coûterait chacun environ 30 000 dollars. Et il en faut trois ! Une somme dérisoire au regard des dégâts humains, sanitaires et environnementaux causés. Pourtant, l’usine semble incapable ou peu disposée à engager cette dépense, au prix d’un lourd sacrifice : celui de la santé et du bien-être des citoyens de Fria.

Comme M’Mahawa Camara, maraîchère, qui décrit son calvaire en ces termes: « Cette poudre détruit complètement nos feuilles et nos légumes. Je ne parviens plus à récolter comme avant. C’est vraiment accablant. En plus des maladies qu’elle provoque, ce sont nos activités qui sont en danger. »

Du côté des services environnementaux de la préfecture, l’inquiétude est manifeste. Le directeur préfectoral de l’Environnement et du Développement durable tire la sonnette d’alarme :

« C’est alarmant, la fuite de l’alumine n’est pas sans conséquence surtout sur la santé provoquant des maladies pulmonaires ou oculaires et aggravant la situation des personnes victimes d’asthme. »

Il rappelle également qu’une mission du ministère de l’Environnement et du Développement durable, accompagnée d’un laboratoire, s’était récemment rendue sur place pour effectuer des prélèvements.

« Malheureusement, ils ont été trompés. Le foyer défectueux a été fermé temporairement, ce qui a faussé les résultats, déclarés conformes. Pourtant, les plaintes persistent et la pollution se ressent dans toute la ville. Moi-même, j’en suis victime », déplore-t-il.

Le lieutenant Moussa Diawara assure néanmoins que des démarches seront relancées : « Nous allons écrire encore au ministère pour qu’il envoie le laboratoire enfin de faire des prélèvements pour contraindre nos partenaires à être dans les normes. »

Pour rappel, en début d’année, un rapport officiel du ministère de l’Environnement constate la « pollution de l’air grande, normes de rejets atmosphériques non respectées, et unique source d’émission identifiée : l’usine de Friguia ».

Le document prévoit une pénalité contre l’entreprise et exige la mise en œuvre immédiate de mesures techniques et sanitaires. Nous sommes en fin d’année. Jusque-là, rien. La pollution par l’alumine existe comme jamais.

Alh Cheick, envoyé spécial à Fria pour guinee7.com