Censure

Publication du projet de Constitution : La charrue avant les bœuf…

En Guinée, même les lois ont du mal à suivre la loi. Le projet de nouvelle Constitution vient de réussir un exploit inédit : se faire publier dans le Journal officiel… avant même d’exister juridiquement. C’est un peu comme si on célébrait un mariage avant la demande en fiançailles avec le gâteau, les invités, et -qui sait?- un divorce programmé.

Il faut dire que ce texte, on l’a vu naître dans la douleur. Son avant-projet avait déjà connu une tournée nationale façon star de la musique mandingue, avec Dansa Kourouma en lead vocal. Une caravane, des micros, beaucoup de salive… Peu de résultats. C’était beau, c’était cher, c’était…inutile ! Pas grave, le gouvernement a repris la baguette, a renvoyé le CNT dans les coulisses, et a décidé de prendre en main la ‘‘vulgarisation’’ du projet. Avec un tel mot, on aurait pu espérer un peu de pédagogie. À la place, on a eu une violation des règles de base.

Car, encore une fois, publier un projet de Constitution dans le Journal officiel, c’est comme imprimer un diplôme avant de passer l’examen. Même le secrétariat général du gouvernement, sans peut-être savoir ce qu’il dit ou fait, a glissé une note en dernière page, nous rappelant que seuls les textes promulgués ont droit de cité dans ce saint des saints législatif.

Et puis, soyons honnêtes : imprimer à des milliers d’exemplaires un projet de Constitution, ça a un coût. Et donc ça crée une poche de dépense. Or, chez nous, c’est su,  chaque dépense publique pourrait être une opportunité dorée pour l’enrichissement illicite. Faut-il y voir une motivation cachée derrière cette publication prématurée ? Une publication légale prématurée pour des recettes illégales bien mûres ? Ce serait mal penser… donc certainement pas loin de la vérité.

Un cadre du secrétariat général du gouvernement, contacté au sujet de cette publication inédite, a tenté une pirouette : ‘‘Le but est de permettre une large diffusion du projet.’’ Ah ! Voilà donc une nouveauté juridique made in Guinea : l’illégalité pédagogique.

Dans les normes, et en français facile, un texte dès qu’il est publié dans le journal officiel, s’applique le lendemain. C’est dire donc que le projet de Constitution devait passer par un référendum, puis une promulgation, puis une publication. Mais visiblement, on a préféré cet ordre : Publication, Référendum, et plus tard, éventuellement, Légalité.

Bref, nous avons mis la charrue avant les bœufs. Et avec elle, la brouette, le char, et peut-être même le cercueil du bon sens juridique. Mais après tout, dans une transition où l’exception devient la règle, et où le provisoire dure aussi longtemps qu’un régime stable, pourquoi s’embarrasser des détails ? Le ridicule, lui, n’a pas besoin d’être promulgué : il est déjà applicable partout.

Ibrahima S. Traoré pour guinee7.com