Censure

Sécurité routière en Guinée : La chienlit devrait-elle continuer ?

Les deux dernières semaines ont été très chargées en actualité touchant la sécurité routière en Guinée. En tant que Président de l’Observatoire Guinéen de la Sécurité Routière et de la Mobilité Urbaine (OBSERMU), cela m’interpelle. D’où cette tribune qui commence par un rappel chronologique des faits :

En effet, (1) le 18 août dernier, le gouvernement guinéen réuni en conseil ordinaire des ministres a adopté le projet de loi portant protection du patrimoine routier national. (2) Le lendemain, c’est-à-dire 19 août 2016, il rappelait par un communiqué « lapidaire » de sa cellule de communication, la date fatidique du 8 septembre pour l’entrée en vigueur de l’interdiction d’importation des véhicules usagers de plus de 8 ans et ceux de direction à droite. (3) Deux jours plus tard [le 21 août] à l’aube, 7 de nos compatriotes (4 femmes et 3 hommes) trouvaient la mort dans un tragique accident de la circulation suite à une collision de deux voitures au quartier résidentiel de la minière à Conakry. (4) Le lundi 22 août, un ratissage systématique est organisé dans la capitale par la police routière pour faire appliquer l’arrêté ministériel d’interdiction du transport par taxi-motos à Conakry. (5) Le jour d’après [23 août], les conducteurs de  taxi-motos organisent dans la matinée une « puissante mobilisation » pour protester contre une telle décision. (6) Dans la soirée du même 23 août, une déclaration « laconique » du ministre d’Etat aux transports autorise l’activité des taxi-motos et enfin (7) le jeudi 27 août, le ministre d’Etat aux transports annonce que le gouvernement revient sur sa décision d’interdire l’importation des véhicules usagers de plus de 8 ans, sous réserve de présentation du certificat de contrôle technique en cours de validé.

De l’adoption du projet de loi portant protection du patrimoine routier national

Ce texte de loi dont la teneur est riche, montre à juste titre, comme l’OBSERMU s’évertue à démontrer depuis sa création, la transversalité de la problématique de sécurité routière. De fait, bien que portée par le ministère des travaux publics (en charge des routes), il interpelle plusieurs  autres départements (transports, justice, sécurité) et se fixe 3 objectifs principaux :

  • Rendre effectif le principe casseur/payeur
  • Poursuivre les contrevenants devant les tribunaux
  • Fixer les sanctions applicables à ceux-ci

E réalité, ce projet de loi, si elle est votée par l’assemblée nationale et promulguée par le président de la république, viendra combler un vide juridique en matière de protection de nos routes et des sanctions (administrative et pécuniaire) applicables aux contrevenants. Sans que cela ne soit dirigé contre qui que ce soit, a priori seulement, les incivilités ayant pour conséquences la dégradation des infrastructures routières et la détérioration de la sécurité des usagers de la route, sont patentes en Guinée − il faudrait y mettre fin.

Ainsi cette loi devrait permettre, [seulement si] elle est rigoureusement appliquée, aussi bien concernant l’emprise que les équipements de la route de :

  • Protéger les caniveaux, fossés et systèmes de drainage des eaux pluviales, devenus malheureusement des dépotoirs sauvages d’ordures ;
  • Epargner les bandes d’arrêt d’urgence et accotements, transformés en garages d’épaves qui n’ont plus aucune utilité ni pour leurs propriétaires ni pour l’Etat ;
  • Libérer les trottoirs et terre-pleins centraux, transformés en marchés et autres étals par des marchands fixes et ambulants, totalement inconscients du danger et de la souffrance qu’ils infligent à leurs proches en cas d’accident ;
  • Nettoyer les panneaux de signalisation et autres dispositifs d’information, de localisation et de direction de la route, utilisés comme supports d’affichage publicitaire, privant ainsi les conducteurs des dispositifs de sécurité importants ;
  • Préserver les installations d’éclairage public, régulièrement arrachées par des « chauffards », plongeant nos voies urbaines dans le noir qui accentue les accidents à l’intérieur des villes ;
  • Mettre un terme aux implantations anarchiques des ralentisseurs de vitesse qui, n’étant pas précédés de panneaux règlementaires, mettent en danger la vie des usagers de la route.

Pa ailleurs, cette loi codifie l’introduction en Guinée des postes de péage et de pesage – tant parlés mais jamais installés. Si le premier est une véritable machine à sou pour l’Etat afin d’entretenir les infrastructures routières, le second quant à lui, revêt une dimension protectrice des vies humaines sur la route.  En effet, il est aujourd’hui permis de constater sur nos routes, non sans regret, le transport mixte (personnes et marchandises) avec des surcharges hors normes ainsi que des hors gabarit qui, malheureusement endommagent régulièrement et en toute impunité, les rares passerelles et échangeurs de la capitale. Suite à une application correcte et rigoureuse de cette loi une fois légiférée, ces « hors la loi » devraient être sanctionnés, si on la prend dans sa teneur de « casseur/payeur ».

Toutefois, il est à noter, avec assez d’incompréhension d’ailleurs, que le texte de loi reste totalement muet sur l’attitude de certaines entreprises de construction et/ou d’entretien des routes, qui rendent des ouvrages de moindre qualité et respectant peu les normes de sécurité des usagers. La protection du patrimoine routier national construit et entretenu par l’argent du contribuable ne devrait-elle pas commencer là ? Quelle garantie offrent ces entreprises sur la qualité, les normes et quelles sanctions s’exposent les contrevenants ? En attendant les réponses et à moins qu’il y ait déjà des dispositions légales ou règlementaires à cet effet, il est simplement regrettable de constater des routes et voiries urbaines aussi dégradées dont certaines viennent à peine d’être construites ou entretenues aux frais du contribuable. Or, l’état de nos infrastructures routières a une implication (difficile à mesurer) dans la fréquence et la gravité des accidents de la circulation.

De l’accident meurtrier du dimanche matin 21 août 2016

Comme toujours, l’émotion [bien qu’éphémère], était paroxysmique dans notre pays ce dimanche 21 août. L’accident survenu au petit matin a ému de par sa violence, sa gravité et son bilan : 7 de nos compatriotes tués sur le coup dont 4 femmes mareyeuses (une corporation dont les habitants de Conakry louent le courage et le mérite d’approvisionnement quotidien des marchés en poissons et autres fruits de mer). Autre détail triste, illustrant la violence du choc, un des 2 conducteurs tués dans l’accident est resté encastré entre son siège et le volant, les secouristes − excusez du peu − les badauds et les  forces de l’ordre (peu équipés par ailleurs) ayant mis plusieurs heures à sortir son corps, hélas !!!

Pourtant nonobstant l’ampleur de l’émotion, cet accident n’a point suscité, comme à l’accoutumé d’ailleurs,  « l’indignation », la « prise de conscience des risques » et la « mobilisation générale » indispensables, ne serait ce que, pour réduire l’hécatombe actuelle sur nos routes. Ce que l’OBSERMU mettait en lumière sous le sous-titre évocateur ‘’Guinée : entre l’émotion des accidents et mobilisation insuffisante’’ dans son 1er rapport de situation sur la sécurité routière en Guinée, publié en juillet 2016 (p. 11).

Ledit rapport intitulé ‘’dangers élevés sur nos routes, il est temps d’agir pour sauver des vies’’, tirait la sonnette d’alarme non seulement sur la fréquence et le bilan élevés des accidents de la circulation dans notre pays, mais également sur la prééminence des comportements humains dans ces accidents. Et à juste raison, la consommation d’alcool, l’excès de vitesse et le sens interdit ont été entre autres infractions au code de la route relevées par la police dans l’accident du 21 août. Si on considère uniquement le sens interdit dont il est question, c’est malheureusement l’une des infractions les plus répandues, notamment à Conakry – [nous] le pratiquons presque tous au mépris des règles du code de la route. Beaucoup de nos concitoyens meurent ainsi sur la route par la faute et l’irresponsabilité des autres, appauvrissant leurs familles et handicapant notre développement socio-économique…Inacceptable dans une république !!!

Quand des infractions aussi graves, mais très banalisées dans nos villes, endeuillent autant de familles, cela devrait interpeller notre conscience tant individuelle que collective et nous amener à nous interroger : devrions-nous continuer à être fataliste face à un phénomène social (accident de la route) qui a un caractère éminemment évitable ? Devrions-nous continuer à cacher derrière des croyances religieuses  nos propres ‘’faiblesses’’ en tant qu’usagers, à devenir des citoyens responsables sur la route ainsi que notre ‘’incapacité’’ en tant qu’Etat à se doter des règles de sécurité routière et à les appliquer?  Ces questions restent posées à tous, gouvernants comme gouvernés.

De l’affaire des « taxi-motos »

En réaction au ratissage systématique enclenché à partir du lundi 22 août par la police à leur encontre dans la capitale, des conducteurs de taxi-motos ont  organisé une « forte mobilisation » le mardi 23. Ils protestaient contre la volonté des autorités à faire appliquer le texte règlementaire interdisant leur activité dans la capitale. Qu’en est-il réellement ?

Signalons d’emblée que l’OBSERMU a déjà abordé ce sujet dans son rapport cité ci-haut sous le sous-titre interrogatif suivant ‘’phénomène de taxi-motos : impuissance ou indifférence des autorités ?’’ (p. 21). En effet, c’est l’arrêté No. 861/PRG/SGG datant du 29 mars 2010 signé du ministre des transports d’alors et membre du CNDD, le Colonel Mathurin Bangoura [aujourd’hui Général et gouverneur de la ville de Conakry] qui réglemente le transport par taxi-moto en république de Guinée. Ce texte stipule en son article 2 que « le transport par taxi-moto est formellement interdit en zone urbaine et suburbaine de Conakry. Il est exclusivement réservé aux localités de l’intérieur du pays ». Ce qui signifie que l’interdiction va au-delà de Conakry et touche les villes de Dubréka et coyah…Curieux non ?

A la lumière des faits, une coïncidence saute aux yeux, soulevant de facto deux interrogations légitimes. La coïncidence est que c’est sous l’autorité de l’actuel gouverneur de la ville de Conakry, alors ministre des transports que l’arrêté a été pris. Ainsi, on peut se demander pourquoi avoir attendu plus de 6 ans (mars 2010 – août 2016) pour faire appliquer la règlementation, alors même que plusieurs ministres des transports et gouverneurs de Conakry se sont succédé ? Pourquoi c’est seulement maintenant (lundi 22 août) que les autorités décident de la faire appliquer et en l’état, sachant bien que les réalités ont évolué ?

Les réponses à ces deux questions nous auraient sans doute permis de mieux comprendre la situation « assez délicate » dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Elle est délicate, parce que parsemée d’ « évidences » et de « contraintes ». La première évidence est que dans un contexte d’absence total de transport en commun structurant, les taxi-motos comblent un réel déficit d’une mission de service public. Ensuite, l’activité est devenue incontestablement un vivier d’emplois pour des milliers de jeunes – nul ne peut chiffrer avec exactitude leur nombre. Sans compter la logique de rente qui s’y invite inexorablement. De plus en plus de personnes investissement dans les taxi-motos et y tirent un revenu. Cette dernière évidence, par ailleurs peu prise en compte dans les débats autour de l’activité de taxi-moto, est pourtant l’une de ses principales dimensions.

Ceci étant, les contraintes liées à la règlementation ou la formalisation d’une activité informelle bien encrée apparaissent et sont bien plus importantes. D’autant que son développement s’est fait dans l’anarchie et l’indifférence totale des autorités administratives. L’autre contrainte est celle de répondre à un besoin en mobilité sans cesse croissant des populations urbaines, notamment dans la capitale. Or, rien n’indique que les pouvoirs publics ont, à ce jour, les capacités réelles de répondre à ce besoin en fournissant une alternative aux taxi-motos. En matière de service urbain, lorsqu’un besoin existe, une demande se crée automatiquement et si elle n’est pas satisfaite dans le cadre formel par les pouvoirs publics, c’est l’informel qui prend place. Ne dit-on pas que la nature horreur du vide ?

Au demeurant, si on prend le problème dans son sens strict de la sécurité routière en Guinée, on s’apercevra qu’il est mal posé et qu’on le traite sous un angle réducteur. En réalité, s’il est loisible d’interdire le « taxi-moto » dans telle ou telle ville du pays pour une ou autre raison, il est cependant impossible d’interdire la « moto » en tant que mode de déplacement. Au-delà des taxi-motos, c’est l’usage de la moto en général qui est entrain d’échapper à tout contrôle en Guinée. En la matière, inutile de rappeler que certaines de nos villes sont de véritables « no go zones » ≈ « zones de non droit » où peu de règles du code de la route s’appliquent aux motards. De fait, dans ces villes, y compris à Conakry il n’y a pas que les taxi-motos qui refusent de porter le casque, pratiquent la surcharge ou encore enlèvent les rétroviseurs. La vraie question n’est donc pas ce qu’il faut faire pour « règlementer » le transport par taxi-moto, mais plutôt ce qu’il faut pour « normaliser » l’usage général de la moto comme moyen indispensable de notre mobilité.

Enfin, la reculade du ministre d’Etat en charge des transports ce mardi 23 août soir face à la puissante mobilisation des taxi-motos ne devraient pas être préjudiciable si seulement ça permet d’étudier, de réfléchir et d’analyser le problème dans toutes ses dimensions ainsi que d’impliquer tous les acteurs pour enfin prendre une décision concertée qui s’imposera rigoureusement à tout le monde. Nous avons tous à y gagner !!!

De l’annulation du décret interdisant l’importation des véhicules de plus de 8 ans

Comme les sujets précédents, l’OBSERMU a également traité cette question dans son rapport de situation (pp. 24-26). Les deux sous-titres qui y sont consacrés sont les suivants : (1) ’’interdiction controversée mais « sensée » des véhicules de direction à droite’’ et (2) ‘’règlementation sur l’âge des véhicules d’occasion ou une fuite en avant ?’’.

Comme il est défendu dans ledit rapport, interdire l’importation des véhicules usagers de plus de 8 ans dans un contexte où il n’existe aucun centre de contrôle technique opérationnel est une pure aberration. Puisque les vieux véhicules déjà en circulation et jamais visités, sont logiquement censés causer plus de pollution et plus d’accidents. Aussi, pour un pays qui n’a ni usine de fabrication, ni chaîne d’assemblage et qui importe tous ses véhicules, limiter l’âge d’importation à seulement 8 ans, aura pour conséquence immédiate de faire grimper les prix sur le marché. Ce qui limitera le nombre de primo accédants mais aussi de conducteurs actifs souhaitant renouveler leurs véhicules.

D’autre part, à la différence de l’âge des véhicules, l’interdiction d’importation des véhicules de direction à droite, malgré la controverse – dominée essentiellement par la passion – est une bonne décision de sécurité routière. De fait, c’est le sens de circulation (à droite ou à gauche) qui détermine l’emplacement du volant adapté. Comme on circule à droite en Guinée, c’est évidemment les véhicules de direction à gauche qui y sont adaptés. Et selon que le sens de circulation se trouve à droite ou à gauche, les règles de circulation changent complètement. Il s’agit donc là, de ne pas mélanger les véhicules (direction à droite et direction à gauche) qui ne sont pas soumis aux mêmes règles du code de la route. Sinon c’est risques et dangers élevés pour les usagers.

Cependant, si on peut saluer l’annulation du barème de 8 ans, le retour à la case de départ n’est pas non plus à encourager. Car, la Guinée ne peut évidemment pas se permettre d’être le cimetière des épaves du monde. Une barre symbolique comprise entre 20 et 30 ans par exemple aurait pu être fixée. Comparaison n’est sans doute pas la raison – mais Paris a récemment interdit l’accès à la ville aux véhicules de plus de 20 ans, alors qu’ils ne sont pas interdits de circulation dans le reste de la France. En outre, ce qui reste de la décision d’annulation soulève plus de questions que n’apporte de réponses : un certificat de visite technique en cours de validité dans le pays d’embarquement peut-il suffire pour garantir le bon aspect technique des véhicules, d’autant que le transport peut l’endommager ? Comment fait-on si le certificat recommande des réparations mineures ou majeures, qui n’ont pas été faites avant l’embarquement (en Guinée il n’y a pas de centre pour la contre visite) ? Autant de questions qui relancent le débat.

Si l’on peut se féliciter du  maintien de la décision d’interdiction des véhicules de direction à droite, il faut toutefois regretter « l’autorisation sans limite » accordée à ceux déjà en circulation de continuer à rouler. Quel rétropédalage de l’autorité ? La première mesure consistait à leur accorder un délai de 3 mois pour changer la direction du volant, ce qu’OBSERMU avait perçu avec beaucoup de réserve, compte tenu des normes sécuritaires dans l’habitacle d’un véhicule. Il avait proposé dans son rapport, un plan de retrait progressif logo png fond transpde ces véhicules de direction à droite à travers un échange ou un rachat par l’Etat puis la destruction à la casse. Il convient toujours de maintenir cette proposition tout en y introduisant le « micro crédit » qui peut jouer un rôle important dans la mise en œuvre de ce plan de retrait.

Mamoudou KEITA

Président OBSERMU, depuis Paris

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