Censure

Un média international fait la lumière sur la bauxite et la Guinée…En positif: Un fait rare!

La start-up minière qui fait chavirer le Tout-Paris

Deux entrepreneurs français, de 26 et 32 ans, ont fondé Alliance Minière Responsable (AMR). La société, qui envisage d’exploiter des mines de bauxite en Guinée Conakry, a séduit certains des plus importants investisseurs hexagonaux.

Quand ils l’ont approché une première fois par e-mail en mai 2014, Xavier Niel a dit non. Une réponse lapidaire. « Pas mon truc. Je ne connais pas ce secteur. Désolé.  » Dix-huit mois plus tard, les fondateurs d’Alliance Minière Responsable (AMR), jeune société française d’exploration de bauxite en Guinée, tentent à nouveau leur chance. Là, bingo, le fondateur d’Iliad accepte de prendre une participation minoritaire dans leur entreprise via son holding personnel NJJ Capital. Son arrivée au capital d’une start-up d’un autre genre n’est pas passée inaperçue dans le milieu des matières premières françaises.

Trois ans après avoir mis un pied dans l’univers impitoyable de la mine, Romain Girbal, trente-deux ans, et Thibault Launay, vingt-six ans, ont donc convaincu le plus gros «business angel » français de mettre son argent dans un « greenfield », l’un de ces projets miniers qui explorent des terres vierges, une aventure à haut risque. Le montant investi par Xavier Niel reste « confidentiel ». « Il a mis beaucoup plus que le ticket minimum. Suffisamment pour qu’on puisse faire toutes nos études et davantage », concède Thibault Launay, glissant que le patron de Free a un fonds, Kima Ventures, pour investir des tickets entre 100.000 et 300.000 euros, et sa structure NJJ Capital pour des montants « beaucoup plus importants « .

Les deux jeunes gens voulaient accrocher celui qu’ils appellent le « roi des entrepreneurs « . Comment ont-ils fait ? Certes, leur projet a beaucoup évolué en un an et demi : la société compte non plus deux mais vingt salariés, des bureaux à Paris et à Conakry et Deloitte la conseille, expliquent-ils. Mais surtout, ils égrènent la liste « des gens connaissant très bien le secteur » qui ont investi dans leur projet et travaillent désormais avec eux. D’autres actionnaires… aux noms également bien connus. A commencer par Anne Lauvergeon : l’ex-patronne d’Areva – dont les précédentes incursions dans le secteur en Afrique lui valent une mise en cause judiciaire dans le dossier Uramin – est actionnaire minoritaire et administratrice de la société, dans laquelle elle est « très impliquée », selon Romain Girbal, qui préside AMR. Les montants sont tus, mais la femme d’affaires, qui siège au conseil du numéro deux du secteur, Rio Tinto (producteur de près de 20 % de la bauxite mondiale), a dans la junior française davantage de parts que Xavier Niel. Au conseil de la société, elle côtoie Edouard Louis-Dreyfus, le président du groupe de transport maritime Louis Dreyfus Armateurs, ainsi que l’homme d’affaires Alain Mallart, ancien fondateur des sociétés Novalliance et GFI Informatique, aujourd’hui spécialiste du « green business » à travers son groupe Energipole – lui aussi gros « business angel » français. Sans oublier Daniel Lebard, redoutable restructurateur d’entreprises dans les années 1980-1990 et homme clef de l’affaire de Rhodia.

Sur la photographie prise au siège d’AMR (hébergé dans les bureaux parisiens d’Alain Mallart) en présence d’une partie du tour de table, on reconnaît le banquier d’affaires Arié Flack, lui aussi actionnaire minoritaire, ainsi que, la main posée sur l’épaule d’un des cofondateurs, Arnaud Montebourg. « Sans lui, on n’aurait peut-être pas levé des fonds. On est arrivé où on est aujourd’hui grâce à lui « , reconnaît Romain Girbal.

En décembre 2014, au terme d’une année à courir l’Europe pour convaincre des investisseurs de les suivre en Guinée, en pleine épidémie d’Ebola, les deux jeunes hommes alors seuls dans l’aventure ont l’idée de contacter l’homme politique. Arnaud Montebourg a quitté le gouvernement depuis trois mois, mais ils gardent en tête un projet qui tenait à coeur au ministre de l’Economie et auquel ils s’imaginent s’associer : la création d’une compagnie minière nationale. Ils le contactent sur LinkedIn. « J’ai été surpris par leur jeunesse, leur audace, je me suis dit : ces garçons sont gonflés. « Montebourg écoute cette « histoire assez romanesque » de deux jeunes entrepreneurs français dans les mines en Guinée. Il fixe trois conditions : un siège social en France et non à Conakry, une approche socialement, éducativement et environnementalement responsable en Guinée, et la garantie d’un accord d’approvisionnement pour une future raffinerie d’alumine en France. « Ce n’est pas écrit, précise l’ancien ministre. C’est un engagement moral qui leur demande donc de rester actionnaires de référence.  »

Patriotisme économique

Les choses s’enchaînent rapidement. « Il a décroché son téléphone et il a appelé pas mal de monde.  » Alain Mallart, Daniel Lebard, Anne Lauvergeon, Edouard Louis-Dreyfus… Les portes s’ouvrent. « Arnaud Montebourg nous a dit tout le bien qu’il pensait de ce projet, confirme le président de Louis Dreyfus Armateurs. Il a mis en avant sa volonté patriotique économique : cela résonnait chez nous. Cette conception de travail en « équipe de France » m’avait déjà beaucoup séduit dans le discours du ministre à l’époque. » Arnaud Montebourg connaît les autorités en Guinée. Il s’implique. « Je ne suis pas payé pour ouvrir mon carnet d’adresses », lance celui qui se décrit comme leur « parrain ». Il n’a pas non plus de parts dans l’entreprise. Son truc ? « Par ce projet, je réalise une partie de mon rêve ministériel. »

Pour l’instant, Arié Flack juge que l’histoire se déroule de manière optimale. Le banquier d’affaires, devenu proche d’Arnaud Montebourg après avoir travaillé sur le sauvetage des usines d’aluminium de Rio Tinto Alcan à Saint-Jean-de-Maurienne en 2013, convient qu’au départ, il était « sceptique « . Les jeunes entrepreneurs, qui avaient travaillé dans la City à Londres où ils se sont rencontrés, n’avaient aucune expérience dans l’exploration. Or, le secteur se partage normalement entre les majors et les juniors… qui sont pour la plupart australiennes et canadiennes, car elles ont un accès direct aux investisseurs miniers, nombreux sur les Bourses de Toronto et de Sydney. Ils se lançaient aussi dans un pays qui présentait des risques politiques élevés. A lire le dernier sondage annuel de l’Institut Fraser auprès des sociétés d’exploration, la Guinée se place parmi les pays où les conditions d’investissement sont les moins favorables dans le monde.

Voyants rouges

« Tous les voyants rouges étaient allumés « , se rappelle Arié Flack. Mais le banquier, qui s’est intéressé au secteur minier lorsque la boutique qu’il a créée, la Compagnie Financière du Lion, a été conseil de l’Etat sur l’évolution du paysage minier en France, sait que la bauxite est une matière première stratégique, et que les entreprises européennes sont dépendantes de quelques sociétés seulement pour s’approvisionner. La bauxite, dont on extrait l’alumine, sert à fabriquer l’aluminium, l’un des métaux les plus utilisés sur Terre. Avec la hausse continue de la demande, la production mondiale de bauxite a quasiment doublé depuis le début des années 2000. Et la Chine, qui utilise à elle seule plus de la moitié de l’aluminium fabriqué dans le monde, a des besoins énormes de minerai. Son prix n’a d’ailleurs pas suivi la débandade collective des matières premières. Arié Flack note en outre qu’un travail d’assainissement semble avoir été fait dans le secteur en Guinée. La Banque mondiale a constaté que le pays fait des efforts. Le Fonds monétaire international (FMI) attend, lui, une reprise de l’économie cette année. Et puis, les fondateurs d’AMR « ont su témoigner d’une réelle connaissance du terrain. C’est très important, j’en ai vu beaucoup défiler dans mon bureau qui n’avaient jamais mis les pieds dans la glaise ! » Enfin, la présence d’un industriel au tour de table, Louis Dreyfus Armateurs, rassure le banquier d’affaires.

Avec l’arrivée de Xavier Niel, dernier actionnaire entrant, la start-up minière partie de rien mais bien décidée à aller jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à l’ouverture de l’une des principales mines de bauxite de Guinée, aura réussi à lever « pas loin » de 10 millions d’euros. L’argent de leurs investisseurs, Romain Girbal et Thibault Launay l’utilisent pour réaliser les différentes études de faisabilité qui diront la viabilité économique du projet. Leur objectif est ambitieux : produire à terme 10 millions de tonnes par an, sachant que la plus grande mine de bauxite du monde, Weipa en Australie – propriété de Rio Tinto -, en extrait 26 millions. Ces études d’« engineering » minières permettent de planifier la production, de déterminer où sera construite la mine, quels types de machines seront nécessaires ou, encore, de voir comment le minerai sera transporté (rail, téléphérique, convoyeur ou camion) jusqu’au fleuve voisin du permis de recherche situé près de Boké, à moins de 50 kilomètres de la mer. A priori, Louis Dreyfus Armateurs aidera AMR à évacuer la bauxite. « Pour l’heure, nous apportons notre savoir-faire pendant les études, explique Edouard Louis-Dreyfus, aussi bien pour aider la société à savoir s’il faut construire un terminal fluvial que pour évaluer le tonnage, la cadence des grues ou le nombre de barges. »

Les études de faisabilité devraient être finalisées cet été. AMR pourra alors faire la demande de permis d’exploitation en septembre. Si tout va bien, il l’obtiendra quelques mois plus tard. « Les nouvelles autorités sont assez rapides, décrit Romain Girbal. La Guinée veut que des groupes miniers se mettent à produire. Le PIB dépend en grande partie du secteur, le budget de l’Etat aussi. Le pays a besoin que des projets comme le nôtre se développent.  » Car aujourd’hui, il y a de nombreux projets mais peu de producteurs. Quatre mines sont actives dans ce pays qui abrite pourtant les plus importantes réserves de bauxite de la planète. Qui plus est, une bauxite de qualité, et donc recherchée. Ces réserves pourraient, disent certains, alimenter le globe pendant cent ans. Mais la Guinée, qui était encore le deuxième pays producteur au début des années 2000 derrière l’Australie (toujours en tête), n’en extrait pas plus aujourd’hui qu’il y a quinze ans, et s’est fait amplement distancer par la Chine, le Brésil et l’Inde dont la production a explosé.

Une fois le permis d’exploitation obtenu, une nouvelle course commencera pour la junior française. Une course pour lever les fonds nécessaires pour débuter la construction de la mine. AMR a chiffré le projet global entre 80 et 120 millions de dollars jusqu’à la mise en production, espérée fin 2018. Il reste donc les neuf dixièmes de l’argent à trouver. Les fondateurs devront alors savoir convaincre les banques… ce qui, dans le contexte actuel d’extrême prudence à l’égard du secteur des matières premières, peut s’avérer une autre paire de manches.

Source : Les Echos

 

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