Censure

‘‘Le putsch ne peut être souverain et légitime que lorsque…’’ (Elie Kamano)

Elie Kamano, artiste, politicien, était l’invité de Ndimba Radio et de guinee7.com. Avec lui, nous avons abordé les sujets relatifs à la crise au Niger, à la gestion de la Transition, mais aussi à la censure de certaines chansons par la police des mœurs guinéenne. Interview.

Il y a une année, vous avez chanté, La route barrée, où vous parliez de la CEDEAO, à voir tout ce qui se passe aujourd’hui, est-ce qu’on peut dire que c’était une prémonition ?

Elie Kamano : Vous savez que les chansons d’Elie Kamano s’inscrivent généralement dans cet ordre d’idée. Il a toujours fait des analyses pointues par rapport à la situation sociopolitique de l’Afrique et de la Guinée. Donc lorsque je m’inscris dans une lutte panafricaniste de ce genre, où la CEDEAO fait du deux-poids-deux-mesures par rapport à sa gestion des crises dans les différents pays membres de la CEDEAO, je me dis qu’il est nécessaire, en tant qu’artiste, de faire une chanson. Interpeller les uns et les autres sur ces pratiques de la CEDEAO qui n’honorent pas aujourd’hui les peuples membres de la CEDEAO.

Parce qu’à mon avis, la CEDEAO doit revoir sa charte et cette charte qui ne tient pas en compte les coups d’État constitutionnels qui ont été perpétrés par beaucoup de dirigeants qui sont aujourd’hui en fonction et qui sont membres de la CEDEAO, mais qui condamnent les coups d’État militaires.

Et je l’ai dit dans la chanson La route barré, je dis souvent que les coups d’État constitutionnels engendrent des coups d’État militaires. Et si cela est ainsi, donc, il revient à la CEDEAO de revoir sa charte et de la réactualiser en fonction de l’actualité politique africaine.

Le rôle de l’armée ne se limite pas seulement à défendre les institutions du pays, mais c’est à défendre aussi l’intégrité territoriale du pays

Que pensez-vous de l’intervention que prévoit de lancer la CEDEAO au Niger ?

C’est la main de la France qui est derrière cette attaque. On ne peut pas comprendre que la CEDEAO, justement, soit aujourd’hui un outil de la France et que nos présidents soient des valets de la France pour s’imposer au peuple souverain. Parce que je ne dirais pas aux putschistes, parce que le putsch ne peut être souverain et légitime que lorsque le peuple adhère à l’esprit des putschistes.

Et moi, je pense que le cas du Niger aujourd’hui est une illustration parfaite de la communion parfaite, de l’adéquation parfaite entre la volonté du peuple et des putschistes. Donc, il serait très compliqué pour la CEDEAO d’aller attaquer un peuple souverain sous prétexte qu’ils vont déloger ces putschistes et remettre Bazoum à la tête du pays.

Pendant que Bazoum est accusé de haute trahison, nous avons vu à la télévision, sur l’un des médias internationaux ou Bazoum tenait des propos qui compromettent son armée. Quand Bazoum dit, sur France 24, lui qui est le premier magistrat du Niger, qui est le commandant en chef des forces armées du Niger, que son armée est impuissante face aux Djihadistes parce que les Djihadistes sont mieux équipés et mieux entraînés que son armée, alors l’armée a considéré que cela était une démission et une trahison. Ils ont tout simplement joué leur rôle. Le rôle de l’armée ne se limite pas seulement à défendre les institutions du pays, mais c’est à défendre aussi l’intégrité territoriale du pays. Et quand le pays se sent agressé, l’armée joue son rôle. Et c’est ce que l’armée a fait.

A propos du CNRG, après tout, tout n’est pas rose. Parce que c’est une gouvernance, aucune action humaine n’est parfaite

Notre pays est également dans une phase de transition. Comment appréciez-vous la gestion de cette transition par la junte guinéenne ?

Déjà, les enjeux ne sont pas les mêmes. Les transitions dans les pays comme le Burkina, le Mali et le Niger et celles en Guinée n’ont pas les mêmes enjeux. C’est vrai que la Guinée peut s’inscrire dans le même ordre d’idée panafricaniste pour vouloir couper le cordon ombilical comme aimait le dire le professeur Alpha Condé. Et comme nous le clamons tous, nous les Panafricains. Maintenant, cette transition aujourd’hui chez nous à des enjeux carrément différents. Et des enjeux de cette transition, c’est de mettre les fondements d’une vraie émergence. Et les fondements d’une vraie émergence ne peuvent passer que par le changement de comportement, le changement de mentalité. Parce que les années passées, les Guinéens se sont habitués carrément à être corrompus, à faire des pratiques peu catholiques dans la gouvernance. Et aujourd’hui, quand le CNRD arrive pour nous dire qu’il met fin à toutes ces pratiques pour qu’il y ait une refondation réelle, moi je pense que sur certains axes, je pourrais être d’accord. Parce qu’il y a des cas quand même sur lesquels on pourra défendre les acquis du CNRD.

Mais après tout, tout n’est pas rose. Parce que c’est une gouvernance, aucune action humaine n’est parfaite.

les autorités ont décidé d’interdire les manifestations qu’elles soient pour leur cause ou contre. Donc on s’en tient à cela

Nous avons récemment vu à Kankan une manifestation de soutien au CNRD, alors que toutes les manifestations sont interdites sur la voie publique. Quel est votre point de vue sur ce sujet qui fait couler beaucoup d’encre et de salive ?

Ce qui me soulage dans ça, c’est que les autorités sont en train de rechercher les personnes qui étaient à la tête de cette manifestation. Et dans quel objectif ? Je ne saurais vous le dire. Mais ce que je sais, lorsqu’une manifestation est interdite sur l’étendue du territoire et qu’une portion de la jeunesse se lève pour manifester pour soutenir les autorités en place, ces mêmes autorités doivent accepter le fait que demain, d’autres se lèvent pour manifester contre elles. Donc, dans ce sens, si les autorités prennent leur responsabilité pour arrêter les responsables de cette manifestation, alors je m’en réjouis parce qu’il ne faudrait pas qu’il y ait du deux poids de mesures. Donc, je ne pourrais pas à ce moment accuser les autorités qui ont applaudi ou qui ont initié cette manifestation. Ce que je sais, c’est que les autorités ont décidé d’interdire les manifestations qu’elles soient pour leur cause ou contre. Donc on s’en tient à cela.

L’accouplement de deux personnes (dans nos chansons), comment ils font, pour moi, cela va aux antipodes des valeurs que nous avons eues dans ce pays

Nous parlons également de culture dans cette interview. Nous voyons aujourd’hui beaucoup d’artistes dont les œuvres sont censurées ou interdites par l’OPROGEM (Office de Protection du Genre de L’Enfant et des Mœurs). Quelle lecture en faites-vous ?

C’est une bonne chose. Je salue cette pratique de l’OPROGEM. Et j’aimerais qu’on renforce même les prérogatives de l’OPROGEM dans ce sens. Parce que je pense que les prérogatives de l’OPROGEM sont un peu limitées. Il faut donner à l’OPROGEM plus de force. Parce que nous sommes dans une société à 78% analphabètes. On ne peut pas faire la promotion de la fainéantise et de la médiocrité et la promotion de la vulgarité. Ce n’est pas dans nos mœurs. Et moi, en tant que père de famille, en tant qu’artiste qui a éveillé des consciences de toute une génération dans ce pays, je ne pourrais pas accepter que des artistes fassent la promotion de ce genre musical dans notre pays. Ce n’est pas normal. C’est vrai qu’on est dans un pays laïc. Mais à la base, nous avons une civilisation.

Et cette civilisation n’accepterait pas qu’on salisse la mémoire de nos ancêtres qui n’ont jamais accepté que de telles valeurs ne nous soient léguées. Donc, les artistes qui se livrent à de telles pratiques, pour moi, c’est les artistes qui sont en manque d’inspiration. Parce que lorsqu’on est inspiré, on tient compte des faits de la société et on met en lumière l’état de la société. L’accouplement de deux personnes, comment ils font, pour moi, cela va aux antipodes des valeurs que nous avons eues dans ce pays.

Tous les artistes qui se lancent dans cette aventure doivent être stoppés. Je sais de quoi je parle. Vous savez, le monde est né du chaos. Il y a eu des hommes intelligents qui se sont mis ensemble et qui ont même pris des armes, quand il était question de prendre des armes, pour mettre l’ordre. Et on dit souvent que ce n’est pas ceux qui font du mal qui détruisent le monde, mais ceux qui les regardent et laissent faire sans agir. C’est ceux-là qui détruisent le monde. Si nous laissons faire, alors, ce qu’ils donnent aujourd’hui comme exemple, les petits frères qui viennent derrière, feront pire qu’eux. Donc, c’est maintenant qu’il faut prendre des responsabilités pour arrêter cela et mettre hors d’état de nuire toutes ces personnes qui essaient de se mettre dans cette aventure.

Abdou Lory Sylla pour Guinee7.com et Ndimba radio

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